A l’heure où le marketing digital semble incontournable, où les réseaux sociaux prennent une place primordiale dans la communication des marques, nous avons rencontré Thomas Mamaï, propriétaire du restaurant Coin-Op Table dont la renommée a explosé grâce aux canaux numériques, mais aussi traditionnels. Rencontre avec un passionné.
On trouve le restaurant en remontant la rue de Maubeuge, juste après quelques magasins aux devantures blafardes qui contrastent avec celle du Coin-Op Table, plus épurée et à la vitrine impeccable. Lorsque nous entrons, Thomas est en train de servir une cliente. Il lui tend une boisson verte dans un gobelet. « Si vous aimez l’amer, ce sera parfait ». On comprend que la jeune femme est là depuis quelques minutes et qu’elle bénéficie de conseils personnalisés distillés par l’hôte des lieux.
Dans l’arrière salle, nous découvrons les bornes d’arcades qui font la particularité du lieu : ici, cuisine taïwanaise et jeux-vidéo se côtoient. A gauche, des bornes japonaises, plutôt petites et alignées le long du mur au-dessus desquelles brille le néon rose et bleu « Coin-Op ». Sur l’autre pan, des américaines, plus massives, aux contours très colorés. « Ce sont toutes des originales, nous précise-t-il après avoir encaissé sa cliente. Des vraies bornes, sans émulateur. »
Thomas a toujours baigné dans cet univers. Ses parents, exploitants du parc de jeux vidéo, distribuaient des bornes dans les cafés, les restaurants, les centres commerciaux… Enfant, il pouvait naturellement tester chacun des jeux. Un vrai rêve. Son attrait pour la restauration, il le tient de sa grand-mère. « Elle mettait un point d’honneur à cuisiner uniquement des produits frais et de saison ». Une vocation qui s’est affirmée au zénith de la vingtaine. « A la base, j’étais graphiste. Mais comme le métier de bureau ne me plaisait pas, j’ai jeté l’éponge. Moi ce que j’aime, c’est le contact humain. Alors j’ai arrêté ma formation de web designer pour me lancer dans la restauration. C’était mon rêve depuis tout petit ». Il enchaîne alors les expériences, notamment chez L’Epi Dupin où il approfondit ses connaissances dans le domaine du vin.
Lorsqu’on lui demande comment il en est venu à mêler saveurs taïwanaises et bornes d’arcades, l’étincelle de la passion dans ses yeux brule de plus belle. « J’étais nostalgique de cette époque ; l’arrivée de la PlayStation a détruit le métier de mes parents. Alors j’ai sillonné le monde pour dénicher des perles. J’ai récupéré des bornes à droite à gauche. Et puis, avec un copain, on a organisé une première soirée à laquelle étaient conviés de nombreux acteurs français du jeu vidéo. Ils avaient tous les yeux qui brillaient devant notre soixantaine de machines. Alors on a monté l’association Coin-Op Legacy dans le but de préserver les machines et de les faire découvrir au public. Ma femme Yilin, qui a elle aussi un gros cursus culinaire, – elle a notamment travaillé pour La Durée -, cuisinait des petits plats. Ça a si bien fonctionné qu’on nous demandait sans arrêt quand est-ce que nous allions ouvrir un restaurant. J’avais les connaissances en arcade et en vin ; ma femme est une experte de la cuisine taïwanaise ».
Ainsi naquit le restaurant Coin-Op Table.
« Je ne savais pas ce qu’était un hashtag »
« Oh ! Mais je vous ai pas demandé si vous vouliez boire quelque chose ! », s’excuse-t-il coupable d’avoir succombé à l’ivresse de la passion. Nous rions et l’encourageons à poursuivre, nous-même pris dans l’élan de son récit.
« Au début, il y avait que des copains qui venaient. Mais ça permet pas de remplir le frigo. Les premiers clients externes furent les commerçants du quartier, pour nous souhaiter la bienvenue. On a distribué des flyers à la sortie du métro, mais le plus dur, c’est de faire entrer le client pour qu’il goute. Il découvre alors une cuisine qu’il ne connait pas, et le bouche-à-oreille fait le reste. »
Lorsqu’on évoque sa communication sur les réseaux sociaux, il fait une moue dubitative. « Tout le monde m’a dit qu’il fallait que je fasse ma promotion sur Insta et Facebook. J’y connaissais rien, j’ai appris sur le tas. Je ne savais pas ce qu’était un hashtag. Et puis je me suis adapté, j’ai progressé. J’alterne entre des photos de bornes et des photos de plats en essayant d’accentuer le côté healthy. On montre les produits jusqu’à la conception de l’assiette. Quelques influenceurs ont relayé, comme ParisFoodies par exemple. Sur Facebook, ce n’est pas la même cible. Là, ils prennent le temps de lire le descriptif de nos plats. Twitter, c’est encore autre chose. J’y publie nettement moins. C’est plus dans l’instantané ; y poster des photos de bouffe, ça n’a pas de sens. »
« Certains achètent des followers, j’ai l’impression que c’est bidonné »
Thomas, marque une pause. Il fixe la table quelques instants comme s’il recherchait des souvenirs enfouis et passe sa main sur son t-Shirt DC Shoes témoignant de son ancienne passion pour le skate. « Y’ quand même un côté dérangeant à devoir poster tous les jours, reprend-il. Certains achètent des followers, j’ai l’impression que c’est bidonné. Et moi, j’ai pas les moyens de dépenser sur les réseaux. C’est pas parce que t’a plein de followers que tu as des clients fidèles. Ils voient ton post, ils l’oublient immédiatement après. Tout le contraire de la réalité. C’est un peu la limite de ces nouveaux outils. Comme Deliveroo et UberEats d’ailleurs. Ils dénaturent le produit, et surtout l’expérience. Les clients reçoivent ton plat après 20 minutes, c’est froid, et du coup ils se vengent en donnant un mauvais avis sur le Coin-Op. La Fourchette, c’est pareil. Ils avaient passé un deal pour pouvoir réserver directement via Google, mais sans me prévenir. Comment gérer toutes ces plateformes alors que t’es en plein coup de feu ? Après, le client est mécontent parce qu’il est pas certain d’avoir une réservation. Pire, des fois, il vient sans savoir ce qu’il va trouver. Et après il va se plaindre du bruit des jeux vidéo… Non, vraiment, c’est difficile de gérer toutes ces plateformes. Tu y passes 4 à 5h par semaine. Mais pour booster ton commerce, tu dois passer par là. »
« Une stratégie de marketing artificielle peut se retourner contre toi »

Alors qu’il avait adopté un ton plus détaché pour nous parler de sa stratégie digitale, il rebondit avec plus d’entrain. « Moi, je mise surtout sur le produit et le bouche-à-oreille. Si t’es très fort, tu peux te passer du marketing de masse et des outils numériques. Les journalistes sont venus spontanément ici. Je leur ai rien demandé. Certains sont venus à l’aveugle et à l’improviste. Ils ont expérimenté, ensuite ils ont écrit leur article. J’ai eu la chance d’avoir Télérama, qui m’a donné trois « T », la note maximale. Les Petites Tables aussi, et puis Tripadvisor qui m’a classé numéro 1* sur les restaurants parisiens… Le bouche-à-oreille, qui est plus proche de la réalité que Insta, garantit l’expérience, alors qu’une stratégie de marketing artificielle peut se retourner contre toi. Il faut savoir tenir, continuer à faire de la qualité. Au bout d’un moment, ça paie. »
Il accentue cette dernière phrase avec véhémence, le doigt levé. La qualité, Thomas ne jure que par cela. On lui demande alors si, outre la condition de confectionner des plats de qualité, il a d’autres conseils à donner à ceux qui aimeraient lancer leur restaurant. Il n’hésite pas.
« Le lieu est très important. Si j’avais su, j’aurais pris un autre emplacement, mais je n’avais pas les fonds. Et moins t’as de budget, plus ta qualité doit être au rendez-vous. Nous, on travaille les légumes du moment et les gens reconnaissent le savoir-faire. J’ai dû faire venir les gens à moi pour qu’ils vivent une expérience, et celle que je propose passe par le retro-gaming. La tendance des années 80 revient bien, on le voit avec la série Stranger Things par exemple. Les enfants, qui n’ont pas connu ça, découvrent les bornes grâce à leurs parents. Mais ce sont ces derniers qui reviennent ensuite seuls ! »
« Je retiens un souvenir inoubliable de cette expérience »
Emporté par sa passion, Thomas nous a accordé plus de temps que prévu. Mais l’après-midi touche à sa fin, et les clients ne vont pas tarder à arriver. Alors pour conclure, nous le questionnons sur ses prochains projets. « J’ai ouvert un autre resto, au Ground Control. Nous avons effectué un test là-bas, et le directeur était très content, il m’a donc proposé de monter un food truck. J’ai mis les bornes dans un camion et le matos qu’il faut pour y faire de la vraie restauration. Pour notre prochain contrat, il m’a même proposé de faire une cuisine ouverte ! »
L’œil pétillant de gourmandise, il revient sur une anecdote marquante : « Je retiens un souvenir inoubliable de cette expérience. Nous avions été sélectionnés par le Collège Culinaire de France pour leur évènement annuel qui nous a envoyé deux apprentis de l’école Ferrandi pour élaborer un nouveau plat. Nous avions cuisiné un poisson laqué accompagné de flocons givrés, une glace tomate-ananas. Un grand restaurateur accompagné de sa troupe est venu goûter notre plat. « C’est des gens comme ça que je veux voir, il a dit. Des gens authentiques. Les goûts sont justes, il y a une bonne exécution, c’est délicieux. Continuez comme ça, on se reverra ». Et il a pris ma carte. »
Puis, les yeux plein d’émotions, il termine l’anecdote :
« C’était Alain Ducasse ».
Une juste récompense pour un vrai passionné de gastronomie.
Le Coin-Op Table glane toujours les meilleures places sur les sites de référence, et Thomas publie le plus régulièrement possible sur les réseaux sociaux. Il a cependant choisi de délaisser les plateformes de livraison au profit du contact direct. Car si l’aventure vous porte au 17 rue de Maubeuge, l’expérience est garantie : celle de passer un bon moment dans les souvenirs vidéoludiques de votre enfance en découvrant la cuisine taïwanaise, et celle de rencontrer un véritable passionné par son métier.
*Coin-Op Table a été classé numéro 1 sur plus de 15000 restaurants parisiens référencés sur Tripadvisor pendant plusieurs semaines.
[Interview réalisée quelques jours avant le confinement. Depuis, le Coin-Op Table a rouvert ses portes]